ANILORE BANON

AXEL KHAN - CHERCHEUR

About « La science, tu ne détourneras pas » (Des manipulations génétiques)

Axel Khan, in « Les écrits de l’image »

 

« Un des risques de la connaissance génétique serait « d’en prendre son parti… »

Professeur Axel Khan

 

Du pouvoir absolu (quasi divin ?) des hommes de science aujourd'hui.

Sincèrement, pensez-vous si gênant, si choquant, que l'homme parfois se prenne pour Dieu ? Pour ma part, je considère que l'homme n'existe que par la transgression. Prenez la Bible, que s'est-il passé au Paradis terrestre ? Une transgression. La femme, puis l'homme, décident de manger du fruit de l'arbre de la connaissance, du Bien et du Mal... Les voilà chassés. Qu'émerge-t-il, dès lors ? Un homme et une femme se reconnaissant de sexes différents, aptes à l'amour, ainsi qu'à l'amour physique, qui doivent se mettre à travailler, etc. Ce qui naît donc par la transgression - y compris dans les textes bibliques - c'est l'homme. Si bien que la notion de « limite divine » me semble exister pour être outrepassée. Je « n'achète » pas cette notion-là. En revanche, « j'achète » mes limites par rapport à mon devoir envers vous, envers l'autre. Je remplace Dieu par une obligation extrêmement rigoureuse du respect de moi en les autres.

 

Du pouvoir de la génétique en particulier... De ses fulgurants progrès.

Avec la génétique, science née peu ou prou avec le siècle, il faut faire attention à un point. Elle nous parle. Quel est ce langage ? Il nous dit - à vous, à moi - quelles sont les bases programmatiques de ce à quoi nous ressemblons, nos caractéristiques, ce que nous sommes par rapport aux autres, ce que nous avons pris de nos parents, ce que nous allons transmettre à nos enfants - toutes ces interrogations, ces connaissances qui, depuis la nuit des temps, sont structurantes d'une personnalité humaine. La génétique est donc en résonance avec notre attente et nos pulsions.

 

Vous évoquez la fulgurance de « ses progrès »: socialement, dans l'histoire, ce ne sont pas les progrès de la génétique qui ont été les plus explosifs, mais ceux de la théorie de l'évolution.

La génétique a révélé que le destin est écrit dans les gènes, qu'il y a donc un destin biologique. Mais de cela, les hommes sont persuadés depuis toujours - les Grecs le disaient déjà ! En revanche, quand la théorie de l'évolution nous a appris que nous descendions du singe, là, nous étions très peu préparés à la nouvelle !...

 

Du clonage et de la manipulation des embryons.

Utiliser un embryon pour préparer des cellules qui pourront nous soigner est certes un but techniquement différent que de faire naître un bébé. Il s'agirait d'une première étape, par laquelle il deviendra possible d'avancer dans le traitement de maladies comme celles d'Alzheimer, de Parkinson, du diabète ou de la leucémie... Je pense qu'il faut essayer de bénéficier de la technique sans tomber dans cette légitimation d'une reproduction sans l'autre. Le problème du clonage est lié à cette sensibilité parfaitement compréhensible et recevable que lorsqu'un homme et une femme font un enfant, ils se mettent à deux pour faire « un troisième » différent, l'aimer pour cette différence et également être étonnés par elle. Aussi, remplacer cette forme de reproduction qui a une valeur anthropomorphique - une valeur pour la condition humaine - par la duplication de la réalité biologique et génétique que nous sommes, serait une régression effroyable. Personnellement, je préfère me regarder dans les autres plutôt qu'être un double de moi-même.

 

De l'injustice qui frappe certains de maladies graves et d'autres pas...

La justice renvoie directement à la politique des hommes sinon, nous parlerions de différences, d'inégalités... Il y a une grande variabilité. Est-il injuste que les éphémères ne vivent que vingt- quatre heures comparativement aux tortues dont la durée de vie peut aller jusqu'à deux cents ans ? Cela peut en effet paraître injuste, mais le terme de justice convient-il ici ? Non, la justice est un sentiment moral véhiculé par la société humaine. Et dès lors que celle-ci constate une inégalité biologique, son devoir est de tenter d'y remédier. Un des risques encourus, précisément, avec la connaissance génétique, serait d'en "prendre son parti". De se dire, face à cette inégalité des chances condamnant certains à vivre moins longtemps que d'autres, ou à contracter certaines maladies graves plus que d'autres : « Après tout, c'est écrit dans leurs gènes, nous n'allons pas leur donner les mêmes droits ». Autrement dit, puisqu'ils n'ont pas les mêmes chances, ils n'auront pas les mêmes droits. Voilà une des questions les plus fondamentales que posent la génétique et sa maîtrise pour l'avenir.

 

Des modifications biotechnologiques annoncées de l'homme, et de cette menace idéologique.

Voilà des lustres que l'homme est persuadé d'être trop mal « fabriqué » pour s'accepter tel qu'il est - mythe extrêmement ancien - et qu'il doit se modifier. Alors qu'en réalité, il n'en est rien. Remontons mon histoire à trente mille ans : il y a trente mille ans, on nous a laissé des œuvres inouïes de beauté, des grottes ornées, comme Lascaux... Il y a un peu plus d'un an, les Américains ont envoyé un engin téléguidé sur Mars - tentative pas toujours réussie, mais qui, cette fois, va marcher... C'est le même homme, avec le même cerveau, les mêmes réalités biologiques qui a accompli tout cela! En conclusion, si la société lui en laisse les moyens, ce même homme, non transformé, avec ses mêmes réalités biologiques, pourra certainement faire des prodiges encore plus fantastiques ! Inutile de le transformer, donnons-lui simplement les conditions de son épanouissement.

 

Des engagements pour demain.

Permettez-moi d'abord cette courte démonstration : avant Copernic, chacun croyait l'homme (et la Terre) au centre de l'Univers. Copernic l'en a chassé. Puis est venu Darwin, qui l'a de nouveau chassé du sommet de la création - selon lui, l'homme ne devait plus être considéré comme créé à l'image de Dieu, mais comme un des avatars possibles de l'évolution... Freud, lui, et quelques-uns de ses prédécesseurs, ont prétendu chasser l'homme de la maîtrise de son « agir conscient », en montrant les fondements inconscients de sa détermination d'action... Et je trouve qu'à son tour, notre société est en train de le chasser du centre de ses objectifs... L'homme, aujourd'hui, cesse d'être le but de l'action humanitaire ! Il faut donc impérativement lutter contre cette dérive, et remettre d'urgence la personne humaine au centre des oeuvres et des entreprises humaines. Le vrai combat pour le siècle prochain.

 

De votre foi en la sagesse de l'homme.

Je ne crois pas à la sagesse de l'homme, mais davantage à son aptitude à la sagesse. De par ses gènes, en l'occurrence, il a cette capacité à évoluer aussi bien en direction du Mahatma Gandhi que de Joseph Mengele... Toute la condition humaine est liée au fait que, contrairement à un chien, qui ne peut spontanément évoluer vers l'un ou vers l'autre, je peux, moi, être cet homme profondément mauvais, capable de nuire ou de détruire l'égalité, la vie, la liberté d'autrui.. ou bien devenir un pasteur Martin Luther King ou un Gandhi. Ce qui équivaut à rappeler au passage que, s'il n'y pas le côté de l'horreur, ou du mal, il n'y aurait pas celui du bien. Que s'il n'y a pas le diable, il n'y a pas Dieu. Et le diable, il faut le ganter, ne serait-ce que pour l'exorciser. (L'exorciser exige bien entendu qu'il soit là)...

Pour moi, la sagesse signifie ceci : me donner les moyens de jouir de la vie. De ce point de vue, je manifeste un hédonisme très affirmé : je suis sage, si je considère que la vie peut me donner des occasions de plaisir et d'épanouissement. Le seul problème, par le jeu culturel d'éducation de notre société, est de démontrer que dans l'oppression d'autrui, dans la négation de sa réalité, on n'est ni vraiment heureux, ni véritablement libre. Marx le disait avant moi : un homme qui en opprime un autre ne saurait être libre... Cette notion n'est pas génétiquement déterminée. Elle est une édification sociale. En tant qu'évolutionniste, je pense que le cerveau humain qui a cette capacité de desserrer les états du déterminisme a une aptitude génétiquement déterminée à la morale - aptitude à la morale qui ne signifie certes pas indéterminisme de la morale, mais possibilité de se la créer.

 

De l'éthique et de la responsabilité de la science.

Devant l'inquiétude partagée - et donc prégnante - dans la société face aux progrès de la science, nous avons le choix entre deux recettes. La première, qui serait l'interdit pur et simple : "Non" à cette science et à ses progrès auxquels nous donnerions aussi la liberté de "fabriquer" des monstres etc. Mais nul n'a cette capacité d'interdiction-là. La deuxième attitude est de considérer que l'homme a des pouvoirs nouveaux et qu'il faut faire en sorte que ses responsabilités augmentent au prorata. Ceci s'appelle le projet de civilisation. Il me semble qu'il y a davantage de grandeur humaine dans un tel projet que dans telle politique malthusienne estimant défendu d'apprendre à connaître... Ajoutons à cela que cette voie est la seule qui nous reste et qui demeure ouverte.

 

Des possibilités de la science d'aider à fonder l'exigence de liberté.

La science est cet exemple d'une activité très particulière où s'exercent le respect d'autrui, le rationalisme et une certaine vertu intellectuelle. Elle ne dit pas, en elle-même, ce qui est bon et ce qui est mauvais - notre histoire est ainsi malheureusement pleine d'exemples qui confirment qu'elle dit le vrai, et ne dit pas le bon, contrairement à ce que croyait Platon. Celui-ci croyait que le bon et le vrai étaient la même chose, mais il ne connaissait pas la science... Je redis donc : si la science dit le vrai - veut dire le vrai -, elle ne dit pas le bon.

 

Propos recueillis par J.Chancel

 

Professeur Axel Khan